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Pour atteindre la neutralité carbone, la société mise sur une consommation mesurée, responsable et partagée. Les sportifs de haut niveau s’engagent auprès de leur communauté, une grande partie des championnats se tiennent en asynchrone à travers le monde et de nombreux éléments sont mutualisés : infrastructures, matériel, gouvernance… Les entreprises néfastes à la santé paient une taxe qui permet de financer les Jeux.

La tension est palpable ce matin au Palais des Congrès de Cotonou. Transformé temporairement en stade d'athlétisme pour les Jeux 2048, l'amphithéâtre accueille les 10 finalistes du saut à la perche. Dans les tribunes, des milliers de Béninois, Togolais et Nigérians viennent de découvrir avec fascination le champion français Corto Gard, détenteur du record olympique. Le perchiste, qui avait franchi 6,30 mètres aux Jeux de 2044, réalise encore à l’instant une magnifique performance avec un saut de 6,25 mètres après trois essais. Pourtant, Corto est nerveux. Son ami, l’Allemand Elias Müller, est aussi son principal concurrent et pourrait tenter de battre le record. Son record ! Il est le prochain à sauter.  

De retour sur le banc des athlètes, Corto inspire profondément et tente de dédramatiser. D’abord parce qu’Elias est comme son frère. Depuis que les clubs européens ont décidé de mutualiser leurs complexes sportifs, les deux athlètes ont passé beaucoup de temps ensemble. Et qui ne rêve pas de voir son frère gagner ?

Aussi parce qu’en cas de nouveau record du monde, la prime est désormais partagée par tous les sportifs de la discipline pour encourager l’entraide et tirer l’athlétisme vers le haut. Il tient à son titre, mais ne dirait pas non à un petit complément de son revenu d'existence. Enfin, parce qu’il sait quelle chance infinie il a d’être là, et qu’il aurait tort de ne pas profiter de l’instant. Il y a quatre ans, il apprenait que la Convention Citoyenne des Jeux avait choisi de faire figurer le saut à la perche parmi les disciplines représentées à l’événement. La même semaine, c’est un des jeunes espoirs de son club, devenu société coopérative d’intérêt collectif, qui l’avait appelé pour lui annoncer que salariés, bénévoles, adhérents et supporters avaient choisi de lui faire confiance. C’est si imprévisible quand tant de personnes sont impliquées, qu’il en avait pleuré de joie. Mais comment rester serein alors que ce jeune qui l’avait appelé doit sûrement compter sur lui ? Que lui dira-t-il si Elias lui vole la vedette ?  

Il lui dira que le saut à la perche est fascinant, enivrant, mais aussi extrêmement exigeant et que parfois, on perd. Il lui rappellera comment le sport de haut niveau c’est aussi et avant tout les moments passés ensemble avec le club, plaque tournante du quartier où il a le devoir d’animer chaque semaine des actions de sensibilisation et d’accompagnement sur la santé, la nutrition, le climat ou encore le dépassement de soi. Corto se souvient d’ailleurs d’avoir aidé cet adolescent à choisir sa première perche en fibre de verre parmi celles mutualisées et prêtées à la matériauthèque.

Il lui racontera enfin l’aventure extraordinaire des Jeux. À l’heure où la plupart des compétitions d’athlétisme sont tenues en asynchrone à travers le monde, cette rencontre en chair et en os est l’expérience d’une vie, au-delà du record.  Il pense à Afiavi, quinquagénaire béninoise au caractère bien trempé, qui l’héberge depuis le début de la compétition et avec qui ça n’a pas toujours été facile de cohabiter. Pour la première fois cette année, les nuits chez l’habitant ont remplacé le village olympique. Des centaines de citoyens ont candidaté pour espérer accueillir un athlète. Afiavi a convaincu par son engagement de longue date à la maison de vie locale, où elle anime des ateliers de mobilité pour les retraités. Ce soir, malgré leurs différents, elle a prévu de lui cuisiner un poulet du jardin, qu’ils aient une victoire à célébrer ou non.  

Il pense aussi à ce qui l’attend demain : la caravane de France. Corto est venu en avion au Bénin mais la Convention Citoyenne des Jeux a demandé à chaque équipe d’être exemplaire au retour en termes de mobilité durable. La France, qui a instauré une lourde taxe sur les entreprises néfastes à la santé telles que le géant McBouff, a décidé de financer grâce à elle une grande tournée d’Afrique de l’Ouest et du Nord. Tous les athlètes vont partir ensemble en bus électriques, pour un périple de 2.000 km et 15 escales à la rencontre des habitants. Corto se dit que ce tour aurait quand même une toute autre saveur s’il restait recordman… Les acclamations du public le sortent de ses pensées. Son ami allemand se tient prêt, au bout de la piste. Tout semble se jouer maintenant.  

Elias Müller tient fermement sa perche, le regard fixé sur la barre à 6,32 mètres de haut. Les murmures de la foule s’estompent. L’athlète ferme les yeux un bref instant, semble visualiser son saut. Soudain, il s’élance : ses foulées sont puissantes, la perche vibrante semble foncer droit vers le butoir. Le public n’a pas le temps de souffler que déjà Elias s’élève dans les airs, déploie ses jambes avec une précision acrobatique. Le temps s’étire. La courbe est parfaite ! Il amorce la descente, son cœur battant à tout rompre. Couché sur le tapis, il lève les yeux au ciel. Il voit la barre restée sur les poteaux avant d’entendre les applaudissements assourdissants du stade. Elias a réussi ! Tant pis pour la gloire en “tournée caravane”, Corto se rue sur la piste, hurle de joie et serre son ami dans ses bras.  Un nouveau record du monde ! Elias Müller qui s’élève et tous les tiers-lieux d’Allemagne qui doivent trembler sous le poids des supporters rassemblés devant la télé ! Soudain, le calme revient. Plus que quelques secondes avant de savoir qui remporte la médaille d’or. Mais bien sûr ! Corto était tellement obnubilé par son record qu’il en avait oublié les nouvelles règles : la performance ne fait pas tout. Dans la notation des athlètes, l’engagement social, l’impact environnemental et le fair-play des sportifs comptent aussi. Partout dans le monde, les spectateurs sont en train de noter cette dernière dimension, les deux premières étant précisément calculées par l’OCI, l’Organisation Comptable Internationale. 5, 4, 3, 2, 1… Corto Gard est médaillé d’or !

Son engagement au club et son retour en caravane semblent avoir joué en sa faveur. Comme le veut la tradition, sa prime ira à l’association pour la préservation des océans qu’il défend à chaque compétition.  

Mais il s’en occupera plus tard. Pour l’heure, Elias est recordman et lui médaillé d’or. Pour l’heure, les deux amis célèbrent leur victoire commune et toute la communauté de perchistes la fête avec eux. La vie est bien faite.

Texte écrit avec la plume de Jeanne Pelisson et scénarios illustrés avec le crayon de Solen Selleslagh.