
L’innovation technologique est omniprésente et permet de répondre aux défis environnementaux comme jamais auparavant. Les sponsors sont des marques vertueuses, le matériel est recyclé, les standards en matière de performance et d’efficacité énergétique sont très élevés. La raréfaction des ressources et le coût de ces nouvelles technologies privent malheureusement de nombreux pays de participer aux jeux.
Tandis que son équipe pédale, que sa coach trépigne et que les statistiques s’emballent, Imrân profite de ses dernières minutes de voyage. Ses trajets en Airlander, ballon dirigeable dernier cri, sont toujours exceptionnels. Privilégiés par l’équipe de France depuis dix ans pour leurs faibles émissions directes, ces luxueux aéronefs sont spacieux, silencieux, dotés de salles de sport et de tout le confort nécessaire pour assurer au sportif une expérience optimale.
Une voix résonne dans l'habitacle : "Attention, atterrissage imminent." Sur le tarmac, Rose, sa coach, l’attend avec impatience. L’Airlander est en retard, et chaque minute passée ici résonne comme une opportunité d’entraînement manquée. Il faut dire que pour Rose, 2048 est l’année de tous les enjeux. Imrân, triathlète prodige, va concourir pour la première fois en équipe. Quand il a appris que son sport, à l’origine individuel, disparaissait du programme olympique, il a cru ne jamais s’en remettre. Pour l’aider à remonter la pente, Rose a pris le risque de l’intégrer à l’équipe de triathlon en relais mixte. Discipline plus spectaculaire, adorée des supporters, le triathlon en relais génère de l’audimat, les financements pleuvent et permettent un investissement massif dans du matériel adapté aux nouvelles normes de performance et d’écologie. Former son champion à une approche collective de son sport : le pari était osé. Alors, sera-t-il à la hauteur ? La compétition a lieu ce soir. Le compte à rebours est lancé.
À peine un pied dehors, Imrân se rue dans la voiture. Il est 9 heures ce matin à Athènes et la température avoisine les 50°C. Sans perdre plus de temps, Rose démarre, allume l’écran de contrôle et lui partage les derniers pronostics. Ses performances réalisées dans l’aéronef, agrégées à celles de son équipe, les projettent en deuxième place. Habituellement, Imrân croit l’ordinateur. Mais pour la première fois, il sent la victoire dans ses tripes. Il a envie de croire que la ferveur des Jeux, la niaque et l’adrénaline peuvent déjouer les statistiques. Direction l’entraînement !
Par la fenêtre, le quartier olympique, ancienne zone commerciale réhabilitée, se dessine doucement. Imrân n’en revient pas. C’est dans ce complexe sportif unique au monde, parfait mélange entre nature et technologie, que toutes les compétitions internationales se déroulent désormais en hommage aux premiers Jeux.
Il en avait rêvé, et voilà que la ville défile sous ses yeux. Les routes, d'un blanc futuriste, font chuter la température et les bâtiments qui s’élèvent autour sont de véritables chefs-d’œuvre architecturaux : façades végétalisées, panneaux solaires sur les toits, drones silencieux survolant la zone pour en assurer la sécurité…
Il n’a qu’une hâte : découvrir l’expérience qui l’attend à l’intérieur. Dernier virage à droite et un garage s’ouvre sur un immense bassin biologique. Dans l’eau, il reconnaît Lola, Killian et Kim, ses partenaires de relais qui lui font de grands signes. Mais son sourire est de courte durée : il aperçoit aussi les équipes du Qatar et des États-Unis, ses principaux rivaux. La course perpétuelle à l’équipement et à la performance a de toute façon privé les pays moins développés de participer aux Jeux. Face à la pénurie de matières premières, cela fait bien longtemps que ceux qui n’ont pas pu investir massivement dans des méthodes de recyclage dernier cri sont laissés pour compte. Et heureusement pour la planète ! À 22 ans, le jeune athlète n’a de toute façon pas connu les choses autrement. Il enfile sa combinaison, inspirée de la peau des espadons (une espèce de poissons aujourd’hui disparue) et plonge rejoindre ses amis. Au contact de l’eau, les capteurs intégrés au tissu transmettent déjà leurs premières données : vitesse, rythme cardiaque et hydrodynamisme.
Les consignes de Rose ne tardent pas à fuser dans l’oreillette d’Imrân. Les yeux rivés sur les chiffres projetés, elle partage à l’équipe les suggestions de Sora, l’intelligence artificielle des Jeux. "Lola, ne bloque pas ta respiration." "Killian, tu dépenses trop d'énergie dans les jambes." Cela rend l’entraînement des athlètes particulièrement efficace et agréable. Soudain, sa montre vibre. GreenBike, leur sponsor, cherche à la joindre. "Oui Rose, c’est moi. Je viens de recevoir les stats de Sora. Qu’est-ce que l’équipe fait encore dans l’eau ? Qu’elle perde ce soir c’est une chose, mais il faut vraiment qu’elle excelle à vélo ! On a misé beaucoup d’argent sur ce coup-là, on doit démontrer la puissance des bécanes… prouver que nos matériaux recyclés n’affectent en rien la performance." Quand le Comité International Olympique a banni le sponsoring de marques polluantes au profit d’entreprises engagées, Rose pensait travailler avec des personnes plus humaines. Il faut croire qu’elle n’a pas eu de chance. Sans compter cette stupide IA qui partage leur entraînement au monde entier. Rose raccroche sans dire un mot.
Une heure avant le début de la course, Imrân est aux anges. Le centre de soin offre des espaces de thérapies avancées, de détente et de méditation conçus pour maximiser la relaxation. Il se concentre et visualise une dernière fois le parcours dans sa tête : chaque athlète doit nager 300 m, rouler 6,8 km et courir 2 km avant de passer le relais à son coéquipier. C’est lui qui ouvre la marche. Assis dans sa capsule d'isolation sensorielle, il pense à sa copine qui n’a pas pu venir, freinée par le coût prohibitif des avions et de l’événement. Il veut gagner pour elle.
Dans le stade, l’ambiance est électrique. Le concert de Caleb Sullivan vient de se terminer, les spectateurs sont déchaînés. La bière au pain, tendance anti-gaspi, coule à flot. Imrân, Lola, Killian et Kim entrent dans l’arène. Le public se met à hurler d’enthousiasme. Rose est restée dans son bureau, loin du bruit de la foule, pour suivre la course grâce aux chiffres. Elle guidera l’équipe à distance. Voilà d’ailleurs Imrân qui se met à l’eau. C’est parti pour une heure et demie de spectacle ! Le début de la course est un vrai régal. À la nage comme à pied, Imrân domine la course. Il se sent inarrêtable. Dans le stade, la puissance des lumières varie en fonction des watts générés par l’athlète en tête. Ça galvanise la foule et encourage Imrân. Il fonce pleine balle à vélo. "Économise ton énergie, tu brûles trop de calories" lui dit Rose à l’oreillette. Mais Imrân veut gagner. "Tu m’entends ? Sora nous dit d’économiser ton énergie. Ça peut être le bon moment pour utiliser tes 40 watts de bonus. GreenBike serait content.". Pour plus de spectacle et de suspense, les athlètes ont tous le droit d’enclencher dix secondes d’assistance électrique. Mais Imrân veut gagner sans dopage mécanique. Rose bouillonne : "Imrân, Sora nous dit que…" Il ne veut plus rien entendre. La piste du circuit défile sous ses roues comme un tapis de course et le sportif donne tout jusqu’à la ligne d’arrivée… qui n’en est pas une. Il en avait presque oublié ses coéquipiers. Déstabilisée par l’affront d’Imrân, Sora perd en pertinence, bafouille et désoriente Rose. Lola, Killian et Kim cumulent les erreurs et perdent leur avance. Ils termineront seconds. Décidément, l’ordinateur a toujours raison.
Texte écrit avec la plume de Jeanne Pelisson et scénarios illustrés avec le crayon de Solen Selleslagh.