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Face à l’urgence climatique et sociale, la société a subi de lourdes réformes. La population vit majoritairement en collectif, le végétarisme est la norme et le sport est désormais une histoire de partage, de loisir et de santé. Pratiquer nécessite très peu de matériel (bûcheronnage, gym garage…). Les Jeux sont l’unique compétition internationale, sponsorisée par les services publics. Les participants doivent se rendre sur le lieu de la compétition en mobilités douces.

Dans quatre jours, c’est le 25 janvier. Gaïa, installée sur le pont du voilier, tente discrètement de cacher ses larmes. Noé, son petit garçon, lui manque à chaque instant et parfois, face au spectacle incandescent du soleil sur l’océan, ses émotions débordent. Déjà trois semaines qu’elle est partie en direction du Costa Rica avec son équipe, pour les épreuves de football aux Jeux 2048.

La traversée s’est exceptionnellement déroulée. Les alizés ont tenu leur promesse, les dauphins ont offert leur plus beau spectacle et les rencontres faites durant les escales resteront longtemps gravées dans les mémoires. Quant à la vie en communauté, au plus proche des éléments, ce n’est qu’une fabuleuse version marine de ce qu’elle vit en France.

Car chez elle, Gaïa partage déjà sa vie avec ses 5 coéquipiers et leurs familles, au milieu d’une forêt comestible, de chèvres et de poules. Son fils grandit au sein d’un éco-village soudé, où elle sait que tous ont brillamment pris le relais pendant son absence.

Mais la réduction drastique du temps de travail s’est appliquée aux athlètes de haut niveau comme aux autres professions et Gaïa a toujours passé beaucoup de temps avec Noé. Alors elle se demande s’il comprend, du haut de ses 4 ans, pourquoi sa mère est partie 3 mois loin de lui. Dans quelques heures, ils atteindront Puerto Limón sous une chaleur de plomb, une ambiance de festival et des supporters plein le port.

À l’horizon, le littoral costaricien se dessine. Gaïa essuie ses larmes et se souvient du chemin parcouru jusqu’ici. Enfant déjà, son rêve était de devenir footballeuse. À l’époque, ça se jouait à 11 dans des stades immenses, couverts de gazon et entourés de tribunes. C’était le sport le plus pratiqué et le plus suivi au monde. Mais progressivement, un sursaut citoyen, des lois et des normes écologiques ont modifié la société en profondeur. Quand l’État a récupéré les stades pour créer des fermes urbaines et privilégier la sécurité alimentaire, ça a été un deuil immense. Avec son équipe, ils ont profité des aides dédiées aux écolieux pour s’installer ensemble et se serrer les coudes. Et comme les chiens ne font pas des chats, le vieux parking du centre commercial voisin est vite devenu leur nouveau terrain de jeu. Le parcmètre rouillé au milieu des herbes hautes est aujourd’hui le dernier vestige d’antan et le sport a naturellement retrouvé sa place dans le quotidien des gens, au détour d’une rue, d’un lac ou d’un jardin. Le triathlon s’est transformé en terrathlon (Course d’orientation, nage en rivière et VTT), le bûcheronnage est devenu tendance et le football a regagné son statut de grand favori. Le sport est désormais une histoire de partage, de loisir et de santé. Le taux d’obésité a chuté, le nombre de suicides chez les jeunes aussi. Les classements mondiaux ont disparu, faisant la part belle aux compétitions locales, nationales et dans une moindre mesure continentales. Les performances sont différentes de ce qu’elles étaient. Peu importe, le deuil des stades est fait et Gaïa ne reviendrait en arrière pour rien au monde. Pourtant, une rencontre internationale perdure et hante secrètement les rêves de tous les athlètes, comme une petite musique discrète et sourde : les Jeux.

Organisés tous les 4 ans, ils n’accueillent que 3 équipes par sport et continent. L’occasion est rarissime. Alors partir au Costa Rica quand on n’a jamais quitté l’Europe, s’y rendre en voilier et défendre sur place les couleurs, les espoirs et les valeurs d’une nation toute entière, qui pourrait refuser ? Personne, se dit Gaïa, pas même une mère. Le vent se lève. Le bateau tangue. Ses amis la rejoignent dehors pour réduire la voilure. À bâbord, un catamaran les dépasse : c’est l’équipe de Gym Garage ukrainienne qui leur adresse de grands signes. Dernières manœuvres et derniers moments fraternels en mer avant d’arriver.

Aujourd’hui, c’est le 25 janvier. À Puerto Limón, le pays tout entier semble s’être rassemblé pour encourager les athlètes. Les rues sont envahies de drapeaux, de banderoles et de visages peints. Des télévisions sont installées pour retransmettre les compétitions en direct, et partout, les supporters scandent des slogans de soutien.

C’est une immense fête à ciel ouvert. En France, chaque village s’est transformé en fan zone, aux couleurs du Costa Rica pour découvrir la culture du pays d’accueil. À Beurizot, en Côte-d’Or, la ferveur et la joie sont au rendez-vous. En attendant le match, on chante en espagnol, on apprend le folklore local pour danser ensemble et on déguste du Gallo Pinto, plat national à base de haricots noirs, accompagné de bananes plantain. Ici, même dans un village de sportifs, un grand nombre d’habitants sont végétariens depuis l’instauration de la taxe sur les produits carnés et la multiplication des potagers collaboratifs, cultivés en communauté. Les produits exotiques aussi sont rarissimes, alors on en profite. Sur la place centrale, un écran géant attend de diffuser les premières images du match France-Brésil de football.

Assis devant, Noé crie déjà comme un fou les quelques mots que l’école lui a appris pour l’occasion : “¡Venga mamá!”.

Il est 16h30, Gaïa enfile son maillot. Elle scratche dans son dos le slogan d’Ensemble-Habitat, service public français du logement. Ce système de logos amovibles a renforcé la durée de vie des uniformes sportifs et elle espère, un jour, pouvoir transmettre le sien au futur espoir du football ; comme une histoire qui perdure. La partie va bientôt commencer. Elle se joue dans une ruelle ombragée à proximité du port. Gaïa est déçue, son équipe est meilleure sur terrain vague. Qu’importe, il est trop tard pour paniquer. On installe 2 troncs de chaque côté du terrain et l’arbitre lance une pièce de monnaie : c’est aux Français d’engager le match. C’est parti pour 50 minutes de jeu. Très vite, les Brésiliens montrent leur maîtrise du ballon. Les échanges sont rapides et les passes précises. Les premiers buts se succèdent.

Les spectateurs, massés sur les trottoirs et les escaliers des immeubles environnants, vibrent à chaque action. Partout dans le monde, les encouragements, les sifflets, les cris de frustration et de joie animent les foules rassemblées. À l’écran, les dribbles s’enchaînent. Gaïa s’échappe sur le flanc gauche et centre parfaitement pour sa coéquipière qui reprend de volée. Le ballon frôle le poteau en bois. Noé retient son souffle. La balle est renvoyée au milieu de terrain où une nouvelle bataille s’engage. Soudain, une ouverture se crée. Gaïa s’élance, intercepte une passe et lance une contre-attaque, évitant les pieds adverses. Elle tire… la balle rebondit sur un mur et file droit dans les cages. C’est le premier but français.

Le match se termine, 25-11 pour les Brésiliens. Leur victoire est écrasante. Mais Gaïa, portée par l’écho des applaudissements, est au sommet de son sport. Le nombre de participants aux Jeux étant restreint, chaque équipe affronte toutes les autres. Or ce n’est que le premier match et elle vient déjà de vivre le rêve de sa vie. Et devant son écran, entouré de toutes les familles des athlètes réunies, emporté par la fête, les musiques latines et l’odeur sucrée des mangues, Noé comprend.

Texte écrit avec la plume de Jeanne Pelisson et scénarios illustrés avec le crayon de Solen Selleslagh.